Comme beaucoup d’entre nous, j’étais peu crédule sur la possible élection de Trump en 2016. Mais c’est arrivé. Trump est une puissante machine de guerre. Adulé par certains, craint par beaucoup, détesté par d’autres. Plusieurs « psys »l’ont dépeint comme un personnage narcissique, égocentrique, mégalo, manipulateur, menteur, raciste, totalitaire, instable, dangereux …. pourtant il est arrivé là où il est. Les républicains ne l’ont-ils pas vu venir ? Qui a réellement pris la mesure de sa toxicité ? Des journalistes, des conseillers, des enquêteurs et autres sénateurs ont tenté de l’empêcher de nuire. Qui y est vraiment parvenu ? 

Nos démocraties et nos organisations sont gangrénées par la prise de pouvoir de personnalités toxiques. Même si parfois elles permettent à des causes utiles de progresser, leur but ultime n’est jamais le bien commun. Pourtant ces personnalités arrivent à le laisser croire le temps de prendre les commandes. L’enseignement que nous pourrions tirer de l’arrivée au pouvoir de Trump est :comment un système humain peut-il empêcher un dirigeant toxique de nuire à l’ensemble ? Si la réponse était aisée, aucun dictateur ne serait encore en place. Pour autant, la question est essentielle. Un système humain est d’abord un réseau de connexions interpersonnelles dans lequel navigue la personnalité toxique. Trop peu d’humains sont sensibilisés à ces questions. D’autres préfèrent éviter les problèmes ou tirent un profit de l’action de ces personnes. Dans tous les cas, ils se taisent ou minimisent les dommages collatéraux. Ou encore, comme dans une grande institution militaire, on préfère promouvoir le manager toxique pour s’en débarrasser localement. Pour ces multiples raisons, et grâce à une certaine intelligence en navigation politico-relationnelle, ces personnalités vaniteuses grimpent tranquillement. A chaque échelon, il devient plus difficile de les destituer puisque le système cautionne leur progression, avec des commentaires tels que « il n’est pas facile, il nous emmerde souvent, mais il fait avancer les choses ». Quelques années plus tard, il destitue ceux qui lui font de l’ombre en essayant de protéger le peu de pouvoir qui lui reste. La casse humaine générée dans tout le système est vite oubliée, bien que le coût énorme continue d’être porté par l’ensemble. 

Ceci n’est pas neuf. Nos démocraties s’épuisent. La confiance dans les institutions est en baisse dans de nombreux pays. Tout cela constitue des signes annonciateurs de fin de cycle. Avant nous, de nombreux empires se sont effondrés. Cependant, nous devons avec lucidité prendre sérieusement en compte que les nombreuses personnalités toxiques - et Trump en particulier -divisent, clivent le monde, opposent les uns contre les autres avec encore plus de force. Si chute il doit y avoir, ces personnalités en accélèrent l’arrivée en attisant la haine, la peur et la séparation. Or, pour relever les défis de nos civilisations, de la récession, du climat, de la biodiversité, de la fracture numérique, de la paupérisation, de la santé , de l’éducation, nous avons besoin de confiance, d’organisations solides et transparentes, d’humains unis au service du bien commun. Sans une éthique forte et des liens solides, le spectre de guérillas civiles, évoqué par des auteurs toujours plus nombreux depuis quelques mois, infectera les démocraties.

Les Etats-Unis aujourd’hui, c’est entre autres, 40% d’adultes qui disent souffrir mentalement, plus d’un quart des jeunes qui disent avoir envisagé le suicide et une industrie des armes dont les chiffres explosent. Ceci est le fruit du narcissisme, de l’égocentrisme, du protectionisme, du populisme, du covidisme et tous les autres « ismes ».

Ce que Trump m’a appris : plus longtemps nous laissons faire une personnalité toxique, plus elle devient indéboulonnable ! Pire encore, l’entourage de tels dirigeants se voit contraint de suivre et poser des actes toxiques pour sauver la face ou sauver sa peau. L’accumulation des dommages collatéraux pèse sur l’ensemble bien après leur départ au risque même de tuer le système. La vérité est toujours multiple et souvent complexe et ne peut être ramenée à un tweet. L’agression, la domination et la colère comme mode de management empêchent l’émergence de l’intelligence collective et annihilent la capacité du collectif à trouver des solutions au service du bien commun. La grande question qui reste : quand accepterons-nous de choisir nos leaders parmi des personnalités humbles, empathiques, serviables, bienveillantes, altruistes, désintéressées, intelligentes émotionnellement plutôt que parmi des alphas toxiques ?

Frédéric Theismann

La seule chose qui permet au mal de triompher est l’inaction des hommes de bien. 
— Edmund Burke